J'ai regardé de près le projet OpenUDC car ses partisans affirment pouvoir définir ce qu'est une monnaie libre ou pas, pointant du doigt que bitcoin serait un logiciel libre mais pas une monnaie libre, au motif que la conception de bitcoin créerait une asymétrie temporelle, favorisant les premiers entrants. Voici pourquoi cet argument est infondé et pourquoi le caractère libre du protocole bitcoin suffit à équilibrer tout effet néfaste d'une éventuelle asymétrie temporaire.

Innovation adoption curve

Commençons par rappeler en quoi consiste le projet openUDC: il s'agit d'un système monétaire qui crée de la monnaie en continu, la masse monétaire étant distribuée à tous les participants sous forme d'un dividende universel.
Il s'agit donc d'une monnaie"élastique" (à masse monétaire potentiellement illimitée, cf l'excellent livre de Detlev Schlichter sur le sujet) comme l'euro.
Le fait que ce soit un logiciel libre est une évidente nécessité qui devrait s'appliquer à tout système monétaire, pas une caractéristique suffisamment distinctive pour assurer le succès d'un projet.

Les dérives d'un système privateur comme l'euro ne préparent pas le succès d'un logiciel libre. Seuls les progrès de la conscience par l'éducation peuvent faire bouger les lignes figées par l'ignorance. Le dividende universel (ou le revenu de base) serait une avancée démocratique fondamentale, résultant directement du progrès technologique qui nous affranchit de la nécessité de faire travailler tout le monde.
D'autre modes de distribution de la richesse doivent émerger et le revenu de base est une idée très intéressante.
Mais ces nouveaux modes de distribution ne sont pas et ne seront jamais liés à un système monétaire ou à un autre. En fait, inciter les gens à utiliser un système monétaire pour bénéficier d'une prestation sociale est à l'opposé de la philosophie du logiciel libre. De manière générale, une innovation doit, pour s'imposer, réussir à résoudre correctement UN problème. Tenter, comme openUDC, de résoudre moyennement plusieurs problèmes à la fois avec un projet innovant est le plus sûr moyen d'échouer. La question du dividende universel et celle de l'argent-dette privateur sont deux problèmes liés mais bien distincts. Bitcoin répond très bien au problème de l'argent-dette mais ne prétend pas résoudre tous les maux de la terre.

Les partisans d'openUDC se trompent aussi lorsqu'ils imaginent qu'une monnaie libre ne doit pas faire l'objet de spéculation. La spéculation est un phénomène naturel (car fondé sur la psychologie humaine) qu'on ne peut pas plus éviter que la pluie ou les tremblements de terre. Tout actif liquide est ou sera soumis à l'épreuve de la spéculation. Le blé et les matières premières alimentaires sont affectés par la spéculation. Aujourd'hui, les producteurs de blé font partie des spéculateurs. La spéculation est en réalité facilitée par les monnaies élastiques qui accroissent les risques et donc les effets de levier. Une monnaie "valeur" comme bitcoin (à quantité limitée, appelée aussi monnaie matière première) limite le risque lié à la monnaie et permet donc au producteur de blé d'exploiter son avantage (sa connaissance de la culture du blé) par rapport au spéculateur purement financier.

Enfin, la critique des premiers entrants qui seraient favorisés par bitcoin au détriment des générations suivantes appelle une réponse simple: la génération suivante peut utiliser tout autre système monétaire, dérivé ou pas de bitcoin. Contrairement à l'euro dont l'utilisation nous est imposée, bitcoin est choisi librement et volontairement.
Nous bénéficions aujourd'hui de la richesse produite par les générations précédentes qui avaient accès à l'or et à d'autres matières premières en abondance, utilisant d'autres systèmes monétaires, comme l'euro. Ce qui me semble problématique c'est que les jeunes d'aujourd'hui héritent de la dette transmise par les banquiers d'hier, majoritairement composée d'intérêts "payables" aux banquiers, opérateurs du système de l'euro, dans la continuité du franc et de l'ancien franc.
Il est délirant que les intérêts appliqués sur la dette de l'Etat Français, réputée sans grand risque, engloutissent aujourd'hui l'équivalent de la collecte de l'impôt sur le revenu: le remboursement de la dette est, pour la première fois, le premier poste de dépense dans le budget de l'Etat en 2013, à 47 milliards d'euros, devant le budget de l'enseignement scolaire !
Bitcoin n'étant pas de l'argent dette mais une "valeur" sous-tendu par la capacité du réseau bitcoin à traiter des transactions électroniques, bitcoin ne favorise aucunement la transmission d'une dette. Le réseau bitcoin est une ressource nouvelle, comme le web ou comme Linux, que les nouvelles générations pourront choisir d'utiliser, d'améliorer ou de remplacer. En pratique, si, avec la croissance des transactions, la valeur d'usage du réseau et donc la valeur d'échange des bitcoins augmentent très fortement, il est possible que un ou plusieurs réseaux alternatifs émergent, écartant ainsi la perspective d'une spirale spéculative autour de bitcoin.