Il serait prématuré de fêter le dixième anniversaire du réseau Bitcoin qui est né le 3 janvier 2019 avec le minage du premier bloc. On peut même considérer que le réseau est né le 10 janvier, jour où Hal Finney a rejoint Satoshi en lançant son serveur bitcoind.

Cette fin 2018 est plutôt propice à se remémorer la parution d’un livre essentiel, il y a 31 ans, “la défaite de la pensée” d’Alain Finkielkraut. Rappelant que “la culture, c’est la vie avec la pensée”, l’auteur y dénonçait avec brio l’utilisation du mot culture comme obstacle à la pensée.

Une fois glorifiés par une définition dévoyée du culturel, les traditions et automatismes hérités de l’histoire sont instrumentalisés par les conservateurs, les oligarques et les bigots pour s’opposer à la pensée logique.

Les Tuche et les gilets jaunes

Alain Finkielkraut: «..arrachement des êtres à ce réseau d’attitudes qui constitue leur identité collective, inculcation des valeurs dominantes élevées à la dignité de significations idéales..» – La défaite de la pensée

Ce n’est pas par hasard que les banquiers centraux veulent structurer les débats sur la monnaie autour d’une histoire de la monnaie écrite sous leur dictée. Leur version exclurait toute possibilité d’une définition alternative qui entrerait en concurrence avec ce qu’ils appellent avec insistance la “monnaie légale”.

Sous leur coupe, la monnaie est confinée à une réalité culturelle dont ils sont les chamanes, sans pouvoir accéder au statut d’outil au service de l’intérêt général. Défaire la pensée critique est l’enjeu de leur communication.

J’observe que les revendications tous azimuths des gilets jaunes traduisent assez bien les effets de ce conditionnement: aucune ne parle d’imposer une taxe spéciale sur les établissements de crédit.

Pourtant, à l’époque du monopole de France Telecom, le gouvernement ne se privait pas de taxer cette rente de situation. Les établissements de crédit qui bénéficient du privilège de création monétaire en France ont dégagé 23 milliards de profits en 2017.

Pourquoi cette différence de traitement entre le secteur des telecoms et le secteur bancaire ? La réponse est simple: la capture réglementaire qui a donné naissance à cette rente crée une dépendance financière absolue du pouvoir politique vis à vis du secteur bancaire. Les banquiers décident désormais quels partis auront droit à un prêt et quels autres partis en seront privés. Ce pouvoir discrétionnaire s’applique même à l’ouverture d’un compte, avant même de parler d’endettement.

L’ISF est donc agité par les opportunistes comme étendard indépassable de la lutte contre les inégalités. Ils sont soutenus par des économistes incapables de dénoncer la racine du problème: en situation de quasi monopole monétaire, l’argent-dette, comme un protocole “proof of stake”, accroit inexorablement les inégalités en fléchant la création monétaire vers ceux qui détiennent déjà le plus de monnaie.

La redistribution, déjà arrivée au plateau de la courbe de Laffer, ne saurait donc suffire à pallier ce biais systémique. La fin d’un monopole naturel que certains voulaient éternel, sous le slogan totalitaire de la “monnaie unique”, doit désormais être actée dans le code monétaire et financier. La loi doit accompagner le développement d’une création monétaire décentralisée fondée sur des projets créateurs de valeur.

L’argent-valeur et son incarnation par l’adoption des monnaies décentralisées doivent revenir au coeur du grand débat national suscité par la crise sociale que nous connaissons en cette fin d’année.

Pour finir sur une observation plus pragmatique, la baisse du prix des cryptos en 2018 semble accompagner la chute des marchés action:

Market cap des cryptos en 2018

Indice Dow Jones en 2018

Ces courbes contredisent temporairement le côté valeur refuge (digital gold) des cryptos. Le prix de l’or s’est d’ailleurs envolé à partir d’octobre quand les marchés action ont vraiment plongé.

En fait, les spécialistes expliquent que les traders doivent vendre des actifs, dont les cryptos qu’ils détiennent éventuellement, pour faire face aux “margin calls” quand les marchés baissent brutalement, en clair, pour éponger leurs pertes.

Conclusion possible: Bitcoin révèlera son caractère véritablement contra-cyclique quand l’adoption de masse en tant que réseau de paiement et réserve de valeur pourra compenser les artefacts purement financiers.

Notons enfin que les trois plus gros crypto-exchanges sont valorisés aujourd’hui autour de 20 milliards USD alors que le marché qu’ils servent représentent 115 milliards USD.

A titre de comparaison, la maison mère du NYSE (la bourse de New York) est valorisée 44 millards USD comme infrastructure de marché pour un total de 21 300 milliards USD des actions qui y sont cotées (185 fois plus que les cryptos!).

Je crois donc que ces gros crypto-exchanges sont légèrement survalorisés et que le marché des crypto est bien sous-évalué en cette fin 2018. Joyeuse fêtes !