Alan Greenspan a été président de la banque centrale américaine (Federal Reserve Bank) pendant près de 20 ans de 1987 à 2006. Pendant toute ces années il a émis des avis sur un système centralisé, comment il devait être optimisé pour faire face à des difficultés économiques, sans jamais imaginer que la centralisation du système elle-même pouvait être une cause des problèmes rencontrés pendant et après son mandat.
Je n'ai donc pas été surpris de lire son avis sur bitcoin:
"Bitcoin doit avoir une valeur intrinsèque. Il faut beaucoup d'imagination pour comprendre quelle est la valeur intrinsèque de bitcoin. Personnellement, je n'ai pas réussi."
La première surprise vient de ce qu'un soit disant économiste professionnel parle de "valeur intrinsèque". Or la notion de valeur intrinsèque n'existe pas car toute valeur est relative. Même un élève de troisième doit savoir cela.
Même une maison n'a pas de valeur intrinsèque: sa valeur peut tomber à zéro ou même devenir négative si son propriétaire doit payer pour la démolir et en construire une autre. Sa valeur est relative au contexte, à sa localisation, à son état, à l'époque où est situé celui qui apprécie sa valeur. Aucune valeur intrinsèque ne peut être énoncée valablement. Est ce que la question de la valeur intrinsèque d'une maison a une importance pour le marché immobilier ? Heureusement non car, si c'était le cas, le marché immobilier serait un marché dirigé où la valeur "intrinsèque " (fictive) d'un bien serait décrétée par un comité central. Toute valeur est relative car toute valeur est rattachée à une utilité. L'utilité est liée à un contexte. Une maison utile pour vous n'est pas forcément aussi utile pour moi. Nous lui attribuerons donc des valeurs différentes.
La plus élevée de ces valeurs, si elle est corroborée par un nombre suffisant d'acheteurs potentiels solvables peut s'appeler prix de marché. Ce prix de marché peut fluctuer énormément au gré des conditions économiques.
C'est la même chose pour un bitcoin. Le contexte des bitcoins est le réseau bitcoin: ils sont en quantité limitée sur ce réseau (ils existent dans la limite d'une quantité maximale de 21 millions) et sont utilisés pour réaliser des transactions sur ce réseau. Le réseau ne sait traiter que des transactions en bitcoins car il doit pouvoir tracer chaque unité de compte (chaque bitcoin ou fraction de bitcoin) jusqu'à la transaction de génération qui l'a créée. Ce ne serait donc pas le cas avec de euros ou des dollars qui sont créés par un prêt émis par une banque. La banque n'est pas connectée au réseau bitcoin de manière systématique et le réseau bitcoin ne reconnait aucune autorité centrale en général donc aucune banque en particulier. Le réseau tire sa valeur des bitcoins sans lesquels il serait inutile et la valeur des bitcoins est indissociable de celle du réseau car ils n'existent que sur ce réseau.
Contrairement au rêve de certains banquiers, le réseau bitcoin n'a pas plus de raison de disparaître que le réseau email ou que le web.
A partir du moment où il s'avère utile comparé aux réseaux existants pour le transfert d'argent (Visa, Mastercard, Western Union, etc), sa valeur existe et peut se comparer à celles de ces réseaux privés. A l'heure où j'écris cet article la capitalisation boursière de Visa est de 142 Milliards de dollars, celle de Mastercard 101 milliards, celle de Western Union 10 milliards à comparer à la valeur totale des bitcoins en circulation qui s'élève aujourd'hui à 10 milliards. Notons d'ailleurs que le réseau bitcoin possède une fonctionnalité supplémentaire par rapport à ces réseaux de paiement, à savoir le stockage sécurisé des bitcoins. Bitcoin prend donc une part du marché des paiements mais aussi des services bancaires. Le périmètre des services utilisant le réseau bitcoin peut s'étendre à une multitude d'autres applications qui requiert la sécurité et la transparence de la base de données et du logiciel: citons entre autres les applications de vote électronique, les loteries et la gestion des noms de domaines (noms de domaines en .bit avec Namecoin).
En fait, la valeur du réseau bitcoin est limitée principalement par l'existence de réseaux alternatifs: contrairement aux monnaies centralisées, bitcoin n'a pas vocation à imposer un monopole local mais au contraire à offrir une option libre de choix au plus grand nombre, sans limitation géographique ou technologique autre que la disponibilité d'une source d'électricité et d'un accès internet.
Les principaux réseaux alternatifs, fondés sur des variantes du protocole bitcoin ont pour nom Litecoin, Peercoin ou Feathercoin. Aucun de ces réseaux alternatifs n'approchent la sécurité du réseau bitcoin car leur puissance de calcul est limitée: ils restent des champs d'expérimentations intéressants mais n'apportent pas d'améliorations significatives. Si c'était le cas, on peut penser d'ailleurs que l'amélioration trouvée avec un réseau alternatif serait portée dans une mise à jour du logiciel bitcoin, dans la logique d'un logiciel libre.
J'avais écrit à propos de Litecoin dans un article précédent.