Newsweek sur Bitcoin en 2017: un mensonge répété suffisammment souvent peut servir de vérité.
Nous sommes bombardés depuis plusieurs années par un narratif autour de la preuve de travail, qui la présente comme “énergivore” et néfaste à l’environnement tandis que la preuve d’enjeu serait une technologie verte et vertueuse.
Ce discours est porté principalement par le lobby bancaire qui défend le monopole de l’euro, une monnaie créée sans contrepartie énergétique autre qu’une promesse de remboursement et un dispositif coercitif étatique. Il est repris aussi par les promoteurs de monnaies à preuve d’enjeu dont la contrepartie énergétique est réduite à zéro.
Il est répété enfin par des écologistes politiques qui trouvent là un discours facile à vendre à des électeurs peu informés et peu éduqués sur la science de l’énergie.
Les prix ne récompensent pas toujours le discernement et la vision.
Je vais donc présenter ici une perspective différente, plus factuelle qu’idéologique.
Mon premier article sur ce sujet, il y a 6 ans déjà, n’a pas suffi.
La quantité de fake news déversée depuis nous ramène à la loi de Brandolini qui énonce l’asymétrie entre l’énergie nécessaire à la formulation d’une proposition fausse et celle, infiniment supérieure, qui est nécessaire pour la réfuter (Jean-Pierre Riou, europeanscientist.com 2021).
Nous allons commencer par rappeler les bases scientifiques du fonctionnement de l’énergie puis le lien entre monnaie et énergie.
Energie et monnaie
Tout échange économique est un échange d’énergie.
Le premier principe de la thermodynamique énonce que “Rien se perd, rien ne se crée, tout se transforme” (Lavoisier): c’est le principe de conservation de l’énergie.
Un échange d’énergie consiste à capter un flux d’énergie et/ou à libérer une réserve d’énergie.
Un flux d’énergie peut se rencontrer dans la vie quotidienne typiquement sous de multiples formes: un courant électrique, un travail mécanique, un rayon de soleil ou un coup de vent. Le flux d’une rivière pourra alimenter un barrage qui, grâce à ses turbines, transformera ce flux d’énergie potentielle gravitationnelle de l’eau en énergie électrique.
On parle d’énergie libre quand elle peut être transformée facilement en travail mécanique: par exemple, un courant électrique pourra être transformé en un flux d’énergie mécanique dans un moteur électrique.
Une réserve d’énergie se présente le plus souvent sous forme de matière (plastique, verre, métal, bois, etc) ou d’un bien matériel.
Dès 1905, Einstein a démontré l’équivalence entre masse et énergie dans son équation fameuse e = mc2 où m représente la masse de l’objet. L’énergie d’un objet est la somme de son énergie au repos (sa masse), de son énergie cinétique (si il est en mouvement) et de l’énergie potentielle d’interaction de ses constituents nucléaires (atomes et particules élémentaires).
L’énergie potentielle nucléaire est considérable mais nécessite elle-même au préalable une certaine quantité d’énergie pour être libérée. Cette quantité d’énergie préalable s’appelle l’énergie d’activation.
Après ces rappels, nous allons maintenant explorer le chemin qui relie la monnaie à l’énergie. Plus particulièrement, nous allons distinguer les deux catégories de monnaie, monnaie-promesse, qui monétise une énergie future promise et monnaie-preuve, qui prouve l’utilisation d’une énergie passée, consacrée à produire et sécuriser la monnaie-preuve.
Dans les deux cas, une quantité de monnaie représente une quantité d’énergie équivalente, la seule différence est la source d’énergie.
Pour la monnaie-promesse, l’énergie promise sera fournie par l’emprunteur qui est aussi le promettant. Chacun de ses remboursements correspondra à une destruction monétaire: l’emprunteur rend à l’émetteur les untités monétaire que l’émetteur retire de la circulation.
Pour la monnaie-preuve, l’énergie prouvée est celle qu’ont utilisée les mineurs pour émettre et sécuriser la monnaie en question.
En pratique, la livraison d’un bien matériel correspond au transfert d’une énergie future: celle que l’utilisation de ce bien permet d’économiser, intégrée sur la durée de vie utile du bien.
Le prix (quantité de monnaie) du bien sera calculé sur la base de cette utilité , parfois combinée avec un coût de fabrication représentant l’énergie passée requise pour le concevoir, le fabriquer et le commercialiser.
L’échange de monnaie contre un travail (service) suppose que la monnaie payée soit reconnue comme la représentation d’une quantité d’énergie équivalente au travail fourni. La monnaie compense alors le coût d’une énergie qui a du multiples composantes, notamment son coût d’opportunité (une énergie utilisée dans un objectif n’est plus disponible pour un autre) et l’énergie passée consacrée à l’apprentissage du travail réalisé et à l’accumulation de l’expérience.
De même, l’échange de monnaie contre un bien matériel compense l’énergie future qui sera économisée grâce au produit ainsi que l’énergie passée qui a permis de fabriquer le produit.
Avant la Renaissance, les pièces d’or servaient de monnaie en tant que réserve d’énergie, dans des échanges qui s’apparentaient alors à du troc: pièces d’or tangibles contre biens matériels.
Les inconvénients de la monnaie matière première, réserve d’énergie, sont significatifs:
- difficile à diviser (il faut fondre la pièce )
- difficile à vérifier (peser ? passer aux rayons X ?)
- difficile à transférer (demande une logisitique sécurisée)
- difficile à sécuriser ( demande un coffre fort)
Ces inconvénients sont de plus en plus gênants à mesure que le volume et la distance des échanges augmentent. Pour les pallier, il est tentant d’utiliser comme monnaie une information représentant une énergie plutôt qu’une matière première.
C’est pourquoi cette subsitution de la monnaie matière première au profit de la monnaie papier portant une information s’est opérée à partir de la Renaissance, période de développement rapide du commerce et des échanges internationaux. A cette époque, les gens ont commencé à déposer leur or (monnaie matière première donc stock d’énergie) chez des tiers de confiance en échange d’une promesse de remboursement de cet or (reconnaissance de dette donc information représentant l’énergie déposée chez le tiers de confiance).
C’est à ce moment que les systèmes monétaires ont commencé à basculer de l’échange d’énergie à l’échange d’une information représentant une énergie. Concrètement, on est passé depuis d’un échange contre matière première (métal) à un échange contre une promesse de remboursement ou contre une preuve de travail.
Les pièces d’or ont été progressivement remplacées par des reconnaissances de dette sous forme de papier sans autre valeur que l’information qu’il porte.
Comme vu précédemment, la différence entre énergie et information est fondamentale: l’information se copie alors que l’énergie se conserve.
Avec la monnaie papier ou Bitcoin, la monnaie est une représentation de l’énergie sous forme d’information (preuve ou promesse d’énergie). Si je donne l’information à quelqu’un je l’ai encore après l’échange : il faut un dispositif qui empêche la double dépense (utiliser deux fois une même information pour payer), comme le réseau Bitcoin ou bien un réseau bancaire coordonné par une banque centrale.
Travail manuel, travail intellectuel, énergie et entropie
Le travail manuel peut se mesurer en Joule qui est l’unité de mesure internationale de l’énergie. Une Joule est définie comme le travail d’une force motrice d’un newton (unité de mesure d’une force dans le système international) dont le point d’application se déplace d’un mètre dans la direction de la force. En clair, cela correspond au déplacement vertical sur un mètre d’un poids de 100 grammes environ. Déplacer un piano de 200 kg du rez de chaussée au 6e étage (environ 15 mètres de distance verticale) d’un immeuble requiert donc au minimum une énergie de 30 kJoule. Selon le principe de conservation de l’énergie, l’énergie mécanique (force) mise en oeuvre par le déménageur ne disparait pas mais est transformée principalement en une énergie potentielle gravitationnelle transmise au piano et aussi, pour une fraction, sous forme de chaleur liée aux frottements de la corde et de la poulie.
Le travail du déménageur est un flux d’énergie mécanique qui a été stockée dans le piano au 6e étage, sous forme d’énergie potentielle gravitationnelle, parfaitement invisible. Elle peut être partiellement récupérée, sous forme de travail, quand le piano redescend au rez de chaussée, par exemple pour faire monter un autre meuble grâce à une poulie.
On utilise aussi le watt.heure (surtout pour l’énergie électrique) ou les calories (surtout pour la chaleur ou l’énergie chimique contenue dans un aliment). Travail mécanique, énergie électrique, énergie chimique et chaleur sont différentes formes que prend l’énergie.
La chaleur est une forme particulière d’énergie, sous forme diffuse, difficile à utiliser (comme une assiette réduite en petits morceaux est difficile à utiliser comme assiette sans être reconstituée). On peut transformer la chaleur sous une forme utilisable, par exemple dans une machine à vapeur, mais ça ne se fait pas tout seul.
Le travail intellectuel correspond aussi à une énergie par la création d’information. L’information joue une rôle capital dans les échanges d’énergie. Les scientifiques définissent l’information comme une donnée qui permet de réduire notre incertitude quant à l’évolution de notre environnement. Cette incertitude se mesure par une grandeur physique, tout aussi abstraite et invisible que l’énergie, appelée entropie.
Les flux d’énergie et d’entropie, quoique intangibles, ont des effets bien réels et perceptibles. S’il dispose d’une information sur son environnement, comme la carte d’une forêt inconnue, il utilisera moins d’énergie pour la traverser que si il n’avait pas de carte. L’information est donc équivalente à une quantité d’énergie. Pourtant, le premier principe permet de distinguer une quantité d’énergie d’une information car l’information, contrairement à l’énergie, peut être répliquée autant de fois qu’on veut. Si je donne une information, je l’ai encore après l’avoir donnée. A l’inverse, si je transfère une énergie, par exemple en transformant l’énergie chimique stockée dans une batterie en un flux d’énergie électrique, je ne l’ai plus. La loi de conservation est le critère qui permet de distinguer clairement l’information de l’énergie.
En résumé, le travail intellectuel, à défaut de se traduire par un transfert direct d’énergie mécanique, consiste en une réduction d’entropie. Toute réduction d’entropie permet d’utiliser moins d’énergie pour produire un même travail et/ou de libérer une réserve d’énergie.
De manière générale, la création de valeur se définit comme toute activité permettant de libérer une énergie (la rendre utilisable, on parle alors d’énergie libre) ou d’économiser une énergie (produire davantage avec la même quantité d’énergie).
Dans le cas où une énergie est économisée, la création de valeur se définit souvent comme la conversion d’une énergie sous une forme donnée vers une forme plus facilement utilisable, typiquement la conversion d’un flux d’énergie (travail) en un stock d’énergie (matière première utilisable, produit fini, énergie interne, énergie potentielle, etc).
Par exemple, la logisitique crée de la valeur en acheminant des biens matériels ( réserves d’énergie) d’une usine (où les biens ne sont pas utilisés) à des clients qui vont les utiliser.
Autre exemple: rédiger un plan de montage pour un meuble en kit crée de la valeur en économisant l’énergie que le client aurait du consacrer à deviner la logique du montage. Sans plan, il aurait mis le double du temps et donc de son énergie pour monter le meuble.
Comment fonctionne l’énergie ?
Rappelons les 3 principes de la thermodynamique:
1er principe: conservation de l’énergie
Une grande partie de l’énergie est dissipée dans les processus de transformation et de distribution.
2e principe: toute transformation de l’énergie est en pratique imparfaite et s’accompagne d’une augmentation de l’entropie qui la rend partiellement irréversible, ce qui introduit la perception d’un écoulement du temps à l’échelle macroscopique.
3e principe: toute structure dissipative (système ouvert) s’auto-organise pour maximiser le flux d’énergie qui la traverse. Elle importe de l’information pour diminuer son entropie en l’exportant vers son environnement.
Alors que le deuxième principe de la thermodynamique formulé par Carnot, fait le lien en information et énergie, le 3e principe , énoncé beaucoup plus récemment, n’explique rien moins que le fonctionnement des forces de la nature.
Sachant que tout système observable dans la nature est un système ouvert au sens de la thermodynamique (un système fermé ne peut exister qu’en laboratoire ou dans une expérience de pensée), on comprend la portée énorme de ce 3e principe, dit MEP en anglais pour “Maximum Entropy Production”.
Illustration et conséquences du 3e principe
Qu’entend on par ces expressions mystérieuses que sont auto-organisation et flux d’énergie qui traverse un système ouvert ?
Commençons par ce concept d’auto-organisation.
Si tout système observable est un système ouvert qui s’auto-organise, ça signifie que les particules élémentaires s’organisent spontanément en atomes, les atomes en molécules, les molécules en êtres vivants, les êtres vivants en sociétés, les sociétés en espèces, jusqu’à l’univers observables tout entier et au-delà.
On parle aussi de structures dissipatives pour désigner ces systèmes ouverts.
Une structure dissipative importe de l’information qui diminue son entropie interne: elle s’auto-organise afin de dissiper un maximum d’énergie.
L’entropie d’un système est une mesure de l’incertitude sur ce système du point de vue de l’observateur qui mesure l’entropie (c’est une notion relative). Si j’ai conçu le système, j’ai réduit l’entropie de ce système pour moi comparé à un autre observateur qui n’en aurait aucune connaissance préalable. Le travail de conception (énergie) que j’ai fourni a contribué à réduire l’entropie pour moi mais pas pour un autre observateur sauf si j’ai transmis de l’information de conception (les plans , la mécanique interne, le code, etc) à cet autre observateur.
Chaque espèce s’auto-organise pour maximiser le nombre d’individus grâce à la reproduction et chaque individu de l’espèce s’auto-organise pour maximiser ses capacités, c’est à dire son propre flux d’énergie. Le vivant s’auto-organise en formant des structures vivantes de plus en plus complexes: la diminution de l’entropie se traduit par une plus grande capacité à produire du travail mécanique donc à dissiper de l’énergie.
Un système qui s’auto-organise a une évolution imprévisible car son entropie diminue: la réduction d’entropie consiste, par définition, en l’apparition d’informations nouvelles imprévues. A l’opposé, l’évolution d’un système isolé vers davantage d’entropie (par exemple, la décomposition après la mort, la mort siginifiant la fin du traitement de l’énergie par la structure dissipative) est prévisible.
L’imbrication vertigineuse des structures dissipatives dans l’espace n’a semble t il ni début ni fin, pas plus que le temps qui s’écoule. Il y a bien sûr des croyants qui se raccrochent à la théorie du Big Bang, mais il est très probable que ce qui est décrit comme un Big Bang n’est en fait qu’un artefact des fluctuations quantiques qui affectent les systèmes ouverts.
La question n’est plus de savoir qui est le créateur puisque l’énergie nait du vide, ne serait ce qu’à travers matière et anti-matière, mais plutôt qui aurait conçu et mis en place les principes de la thermodynamique. Ou bien ces principes ne seraient qu’une occurence d’une multitude de règles de fonctionnement de l’énergie qui existeraient dans des multivers parallèles , l’infinité des règles dessinant davantage une forme de chaos qu’un ordre divin.
Les principes de la thermodynamique introduisent un certain déterminisme qui est tempéré par la complexité. En effet, l’évolution d’une structure dissipative complexe reste largement imprévisible quant à la manière dont elle va s’auto-organiser. De plus, la maximisation du flux à l’échelle de chaque structure et leur imbrication rend les schémas d’auto-organisation interdépendants. Ce qui est parfaitement déterminé c’est bien le sens de l’auto-organisation qui sera toujours de maximiser le flux d’énergie.
Dieu est l’autre nom que les croyants donnent à l’énergie. Comme lui, elle est à la fois invisible et omniprésente.
Qu’est ce qu’un flux d’énergie qui traverse un système ouvert ?
Dans le cas des espèces animales, aboutissement significatif de l’auto-organisation des molécules, elles consomment une énergie chimique par l’alimentation et la restituent principalement sous forme de chaleur et de travail.
Elles maximisent ce flux de deux façons: la reproduction d’une part qui augmentent le nombre d’individus et l’augmentation des capacités cognitives d’autre part qui permet de réduire l’entropie.
La reproduction est une forme d’auto-organisation en ce qu’elle est duplication et recombinaison d’information contenue dans l’ADN et/ou dans le cerveau.
Les capacités cognitives consécutives au développement du cerveau permettent de réduire l’entropie de l’espèce par accumulation et transmission des connaissances. Le cerveau décuple ainsi la capacité d’un être vivant à stocker de la connaissance sur son environnement, connaissance déjà intégrée pour partie dans ses gènes.
Or, selon le 2e principe de la thermodynamqiue, toute réduction d’entropie nécessite un flux d’énergie incident. Autrement dit, l’espèce exporte de l’entropie pour augmenter sa capacité à absorber l’énergie incidente.
Les êtres vivants mémorisent leur environnement dans les gènes. L’évolution des gènes leur permet de s’adapter. La mémoire du cerveau a cru jusqu’à dépasser celle des gènes. L’évolution darwinienne est devenue aussi culturelle.
Dans le cas des espèces végétales, selon les mêmes principes, elles s’organisent pour capter le maximum d’énergie solaire et la restituer sous forme d’énergie chimique grâce à la photosynthèse. Elles se multiplient aussi pour augmenter encore ces fluxs.
Les planètes et les astres s’organisent en galaxies et les galaxies en univers mais rien n’indique que notre univers observable est unique car il peut lui-même s’inscrire dans des formes supérieures d’organisation de l’énergie.
Toute sorte de phénomènes naturels s’expliquent par les principes de la thermodynamique.
Par exemple, les grains de sable versés sur une table s’auto-organisent en tas de sable dont la hauteur va osciller autour d’une valeur critique, dans une succession imprévisible d’avalanches. Le flux d’énergie indidente sous la forme des grains versés est dissipé par ces avalanches et par cette structure en tas. Cette expérience du tas de sable a été étudiée en profondeur par le physicien Per Bak dans son livre How nature works.
Ce phénomène d’oscillations quantiques caractérise les sytèmes ouverts. L’absence d’oscillation correspond à l’état de mort: un drapeau est à l’équilibre seulement quand il est en berne, en l’absence de vent, sinon il flotte au vent dans un état oscillatoire qui lui permet d’évacuer un maximum d’énergie éolienne.
Et la preuve de travail dans tout ça ?
Vous l’avez compris: le réseau Bitcoin est aussi une structure dissipative.
L’énergie dissipée par Bitcoin se retrouve d’une part dans la diminution d’entropie de la timechain (l’irréversibilité des transactions traduit la diminution de notre incertitude sur l’évolution de la timechain) d’autre part dans la chaleur dégagée par le matériel de minage.
Entre la monnaie à preuve d’énergie qu’est Bitcoin et la monnaie promesse d’énergie qu’est la monnaie fiat (euro, dollar, etc), les monnaies à preuve d’enjeu se positionnent comme “green tech” au motif qu’elles ne monétisent aucune énergie significative.
Qu’en est-il en réalité ?
Typiquement, une monnaie à preuve d’enjeu comme Tezos, Algorand ou Cardano demande aux mineurs de prouver la possession d’une certaine quantité de crypto-monnaie pour pouvoir valider des blocs supplémentaires dans la chaîne de blocs. De ce fait, la preuve d’enjeu peut être vue comme une preuve d’énergie avec zéro énergie hormis celle nécessaire (et négligeable) à calculer les signatures. Semblable en cela à la monnaie fiat qui est une promesse d’énergie.
Dépourvues de preuve d’énergie passée, les promesses d’énergie future ou les preuves d’enjeu peuvent être créées en quantité illimitée. De plus, tous ces réseaux à preuve d’enjeu peuvent se multiplier et opérer en parallèle. Ces monnaies favorisent le court terme et la consommation en croissance illimitée plutôt que la frugalité et l’investissement.
En général, l’inflation incite les épargnants à se “débarrasser” au plus vite de leurs réserves en cash dans des investissements de toutes sortes, y compris de court terme. La création monétaire en quantité illimitée conduit au financement d’un nombre illimité de projets avec épuisement inéluctable des ressources naturelles.
A l’inverse, la preuve de travail de Bitcoin permet une création monétaire limitée, propice aux investissements de long terme.
La valeur croissante de la monnaie rare évite aux investisseurs le souci de se protéger de l’hyperinflation caractéristique des monnaies créées en quantité illimitée: ils peuvent donc se tourner plus sereinement vers le financement de projets durables.
Les monnaies à preuve d’enjeu sont donc une forme dévoyée de monnaie à preuve d’énergie qui les fait ressembler aux monnaies fiat.
Le problème des monnaies fiat centralisées
Les monnaies fiat centralisées sont elles-mêmes des formes corrompues de monnaies à preuve d’enjeu car la banque “ne prête qu’aux riches”: plus grand sont les revenus de l’emprunteur, plus grande est la création monétaire dont il va bénéficier par le crédit bancaire.
Du fait de ce mécanisme de création monétaire fléché vers ceux qui détiennent déjà davantage de monnaie, le monopole de la monnaie fiat centralisée est la cause principale d’un accroissement des inégalités.
L’effet de cette création monétaire fléchée est amplifié par l’effet Cantillon, selon lequel “une injection de monnaie dans l’économie exerce un effet progressif et différencié sur les prix au fur et à mesure que la monnaie se propage par les échanges à partir du point où elle a été injectée”.(Wikipedia) .
Autrement dit, puisque les crédits financent le plus souvent des acquisitions, les prix des biens acquis par ce biais s’apprécient plus vite que les revenus salariaux.
Les écarts de revenus inhérents au capitalisme qui récompense normalement la performance deviennent disproportionnés avec le monopole de la monnaie promesse. La redistribution par l’impôt trouve ses limites dans la courbe de Laffer. Elle ne saurait compenser les effets d’une distribution primaire centralisée fondée sur le le crédit.
En amont de toute redistribution, une distribution primaire équitable de la monnaie est la condition d’un capitalisme éthique.
Preuve d’énergie et minage
Par ailleurs, le protocole Bitcoin incite les mineurs à trouver l’énergie la moins chère, faute de quoi ils ne sont pas rentables. Or le minage nécessite un investissement en matériel dont la rentabilité va faire la différence entre des entreprises de minage concurrentes.
L’énergie utilisée par les foyers solvables en occident est fournie par des réseaux de distribution bien connectés à des sources d’énergie fossiles et renouvelables. En cas de chute de la demande, il suffit de différer l’utilisation d’un stock d’énergie fossile. En cas de chute de l’offre du fait de l’intermittence des énergies renouvelables, il suffit d’augmenter, si nécessaire, la production des centrales thermiques ou nucléaires.
En résumé, il n’y a pas ou peu de surplus à trouver dans les pays développés hormis l’énergie du méthane qui s’échappe dans le cycle de production des industries pétrolières (‘flare methan’ en anglais).
Certains mineurs exploitent d’ailleurs ces surplus, ce qui a pour effet de réduire légèrement les émissions de CO2 liées à ce méthane.
En réalité, la majorité des mineurs cherche à s’assurer les meilleures conditions économiques auprès des producteurs d’électricité et se tournent naturellement vers ceux qui ont des surplus, c’est à dire ceux qui exploitent des énergies renouvelables.
Les surplus sont consubstantiels aux énergies renouvelables car il est en pratique impossible qu’un flux, par nature largement imprévisible, soit égal à tout instant à la demande.
Même si des batteries peuvent assurer un rôle d’amortisseur, outre l’impact environnemental très néfaste de leur fabrication, leur capacité ne peut être ajustée facilement et rapidement.
En clair, elles ne peuvent absorber 100% des surplus:
1) Il y aura donc toujours des surplus d’énergie renouvelable
2) Le protocole Bitcoin permet de les monétiser
3) La monétisation des surplus améliore la rentabilité des investissements dans les énergies renouvelables.
Conclusion
L’économie traditionnelle prétend étudier le fonctionnement de la société mais sans pouvoir définir les grandeurs à mesurer. Avec la thermodynamique, nous pouvons mieux cerner macroscopiquement les notions de monnaie, d’utilité, de bien-être et de création de valeur:
monnaie <> représentation d’une énergie passée (preuve de travail) ou future (promesse de travail)
utilité <> énergie future économisée ou libérée (sous forme d’énergie libre)
création de valeur <> rendre une énergie utile (cf utilité)
coût <> énergie passée, utilisée et dissipée pour libérer une énergie utile
rentabilité <> quand l’énergie d’activation est inférieure à l’énergie libérée
L’utilité est toujours relative: elle peut même prendre des valeurs négatives en fonction du contexte. (image: www.yildizoglu.fr).
Pierre Noizat, mars 2022