Bernard Maris, auteur de l’Antimanuel d’économie, assassiné le 7 janvier 2015 dans l’attentat contre Charlie Hebdo.
La protestation passionnée contre la réforme des retraites cristallise les passions car elle se situe au carrefour des deux véritables pouvoirs: celui de contrôler l’argent et celui de contrôler le temps.
Comme l’a souligné Bernard Maris, le regretté éditorialiste de Charlie Hebdo, l’argent permet de gagner du temps et le désir compulsif d’accumulation traduit une aspiration inavouée à la vie éternelle.
Il fut aussi le premier à souligner l’importance de la psychanalyse comme clé de lecture du capitalisme. Selon Freud, l’homme est traversé à la fois par des pulsions de mort qui vise à un état d’apaisement extrême libéré de toute tension et par des pulsions sexuelles pour le renouvellement de la vie.
Pour Maris, la recherche du profit maximal répond à une pulsion de mort qui détruit toute opposition et tend à libérer l’entrepreneur des pressions négatives qui s’exercent sur lui tandis que la pulsion de vie le pousse à coopérer davantage pour construire collectivement un futur plus consensuel.
Si ces pulsions contraires poussent les humains tantôt à créer, tantôt à détruire, elles s’expriment aussi dans les opinions contradictoires. Nous pouvons être tout à la fois libertarien, par exemple en matière monétaire, et autoritarien, par exemple sur la sécurité routière, selon les sujets.
Capitalisation et répartition
La reraite par répartition a les apparences d’un schéma de Ponzi en ce que les derniers entrés dans le système payent pour ceux qui vont en sortir. C’est un peu exagéré car, contrairement à un Ponzi, la sortie doit s’étaler sur une durée non négligeable qui s’allonge avec l’espérance de vie.
La retraite par capitalisation ressemble, elle, à un casino car seuls ceux qui ont fait des placements judicieux peuvent en profiter. Aux USA, pays fortement porté sur la retraite par capitalisation, on observe jusqu’à 24 % de retraités pauvres contre environ 8% en France, seul pays où la retraite repose exclusivement sur la répartition.
Donc on peut dire que la retraite par capitalisation marcherait en théorie mais pas trop en pratique. Elle accentue en fait les effets des inégalités de revenus, en ignorant aussi les écarts de pénibilité.
Rappelons par exemple qu’une bonne partie des agriculteurs ne gagnent que quelques centaines d’euros par mois, sans pouvoir prendre de vraies vacances et avec des horaires de dingue. En comparaison, je vous laisse apprécier le dur labeur des banquiers ou des notaires rapporté à leurs rémunérations.
Pire, un institution publique comme le Sénat a dévoyé la répartition en une capitalisation partielle déguisée, accumulant à date 1,4 Millards d’euros de réserves dans ses caisses de retraite !
Notons d’ailleurs que les sénateurs auraient pu doubler leurs réserves d’aujourd’hui en plaçant en bitcoins seulement 0,2 % de ces réserves en 2011. La capitalisation réclame une clairvoyance dans les placements qui semblent faire défaut à certains élus et à beaucoup de banquiers centraux.
Dans tous les cas, la notion même de retraite par répartition n’est pas tenable dans le temps. Avec la transition numérique vers un monde où les robots sont les équivalents modernes des esclaves de la Grèce antique, la fin du travail poussera inéluctablement les pensions vers une forme de revenu universel.
Stéphane Laborde (Galuel) avait dès 2010 théorisé une monnaie alternative permettant la distribution d’un revenu universel pouvant se substituer aux laborieux mécanismes de redistribution actuellement en vigueur. Tout comme les projections des caisses de retraite, la création monétaire dans la Théorie Relative de la Monnaie (TRM) prend en compte le temps d’existence individuel.
Mais sur ce sujet la retraite, si l’imagination était au pouvoir, elle s’opposerait nécessairement aux idées passées au crible du conformisme requis pour un aussi large consensus.
Capitalisation et thésaurisation
Si Bernard Maris a correctement mis en lumière l’influence primordiale du psychisme sur le fonctionnement de l’économie, il s’est totalement fourvoyé, comme Keynes, au sujet de la thésaurisation, en écrivant: “Le thésaurisateur pervertit tous kes échanges dans la communauté des hommes. Il est le trou noir qui engloutit les énergies détournées du plaisir et toutes celles qui sont liées à la pulsion de mort.”
Rien que ça. En réalité, cette phrase est délirante à plusieurs niveaux.
Elle suggère d’abord une vision des acteurs économiques à la fois simpliste et totalitaire. En effet, pour ne pas devenir un méchant thésaurisateur, tout le monde devrait avoir les mêmes préférences temporelles et chacun trouverait toujours des opportunités de consommation ou d’investissement.
Plus important, elle suppose que la thésaurisation de certains acteurs auraient nécessairement une incidence significative sur les échanges, ce qui n’a de sens que dans le contexte d’un monopole monétaire où une seule forme de monnaie peut circuler.
Au contraire, dans un régime de multimodalité monétaire qui est précisément celui qui est rendu possible par Bitcoin et les monnaies alternatives en général, la fameuse loi de Gresham peut s’appliquer: la mauvaise monnaie chasse la bonne dans des échanges qui ne sont nullement ralentis.
La bonne monnaie étant par définition liquide, et Bitcoin l’est en dépit de son large usage en tant que réserve de valeur, elle peut s’échanger dans l’instant de raison contre la mauvaise: la monnaie suffisamment élastique pour assurer les échanges dans une relative stabilité des prix complète la monnaie inélastique qui sert de réserve de valeur après l’échange.